Des expériences existent déjà : auto-évaluations dialoguées, évaluations collectives, formats ouverts, critères pluriels… Qu’avez-vous mis en place – ou vu se mettre en place – qui renouvelle le rapport à l’évaluation ? Quels effets cela a-t-il eu ? Quels obstacles subsistent ? Racontez-nous ces pratiques, qui parfois passent sous les radars mais mériteraient d’être partagées.
CC by sa IFRES - Université de Liège
C’est certainement anecdotique, mais je me souviens d’une professeure en sciences de l’éducation qui, lors de notre première année de master, était titulaire d’un cours de questions d’actualité en éducation. Après avoir abordé ce domaine sous diverses problématiques, il nous était demandé, dans le cadre de l’évaluation, de lire un ouvrage et d’en proposer un compte-rendu critique. Si cela peut sembler très classique, cette tâche avait pourtant deux caractéristiques singulières : l’ouvrage ne pouvait pas porter sur le domaine éducatif, scolaire ou académique et nous fixions nous-mêmes la note que nous nous attribuions pour ce travail. Cette note était celle qui apparaitrait plus tard sur notre « bulletin », et qui entrerait en ligne de compte pour le calcul de notre moyenne, à la fin de l’année académique.
Il me semble que ces particularités mettent en évidence deux manières d’aborder l’évaluation différemment. Premièrement, la fait d’appliquer une approche critique à un autre domaine que celui auquel nous nous étions confrontés jusque-là favorise le transfert de cette approche et par là même, en soutient la maitrise, mais il s’agit également de travailler sur un thème qui suscite l’intérêt personnel, fait écho à nos valeurs, adresse des questions auxquelles nous sommes sensibles, potentiellement en raison de leurs enjeux pour nous-mêmes et/ou pour les autres. L’évaluation est ici notamment positionnée comme vecteur d’une analyse qui produit du sens. Ensuite, le fait de s’autoévaluer, mais surtout, d’entériner le fruit de cette auto-évaluation comme « trace » de nos acquis d’apprentissage nous place devant nos responsabilités, nous confronte à nos valeurs et nous invite à agir en toute intégrité… ou de façon plus stratégique. La posture dans laquelle nous sommes placés à ce moment-là par les modalités de cette évaluation a des vertus vis-à-vis de la capacité à construire un jugement évaluatif autant qu’elle en a quant à l’opportunité qu’elle offre de s’émanciper d’une logique purement comptable en ouvrant le champ d’une évaluation à la fois responsable et honnête avec soi, vis-à-vis de laquelle il n’y a guère de balises. Ces quelques considérations semblent, à mon sens, entrer en résonance avec plusieurs principes associés à la robustesse.
Comme enseignant en Haute Ecole, j'ai la chance de former des futurs travailleurs/travailleuses social.e.s. Quand j'écris que j'ai de la chance, c'est parce qu'il y a une relation particulière entre cette formation et les résistances organisées aux mondes qui viennent ou qui pourraient venir.
Le cours de 3e bac "Travail social et interculturalité" fait partie des cours dis à choix. Les étudiant.e.s font donc le choix de suivre ce cours parmi d'autres comme les approches biographiques, les assuétudes, les questions de genre, ... Je donne ce cours depuis huit ans, et depuis le début je me suis posé la question du sens de son évaluation.
Je suis assez convaincu par l'idée d'une école sans évaluation quand elle n'est pas nécessaire, du moins si l'on parle d'une évaluation certificative. Aussi, ai-je décidé que le dispositif du cours serait soutenu par le plaisir d'être là, d'échanger ensemble et coconstruire notre savoir, y compris le mien.
L'évaluation n'y est pas centrale, il suffit de venir et de participer à la rédaction des travaux de groupes pour réussir. Comme le dispositif s'inspire de la recherche-action je suis moi-même pris dans la rédaction des travaux. Pour le dire de manière triviale, la participation régulière au cours suffit pour valider le cours. Ainsi, l'évaluation n'est plus un problème comme source de stress, d'inquiétude et d'angoisse. Nous pouvons nous concentrés sur la qualité de nos apprentissages collectifs. Nous pouvons travailler à faire du cours un lieu de discussion et de dialogue propice aux apprentissages liés à l'interculturalité.
Dans le fond, mon seul "vrai" critère d'évaluation pourrait être : les étudiant.e.s parviennent, sans que je doivent lancer une activité, à instaurer entre eux un dialogue interculturel et critique en mobilisant leurs vécus, leurs expériences de stages et les contenus théoriques du cours dans un climat d'écoute bienveillante. Et depuis huit ans, cette dynamique du dialogue fini toujours par s'installer, permettant l'expression de nos préjugés et leur mises en discussion. Comment parler de nos préjugés si personnes n'osent les mentionner par peur d'être sanctionné.
J'aurais donc envie de dire que la robuste passe par une négation de l'évaluation. En affirmant que "globalement tout le monde va réussir", il me semble que le stress et la performance n'ont plus leur place. En revanche, je constate un faible taux d'absence, un engagement dans les activités et les tâches, une prise de parole libérée , des travaux de qualité qui dépassent souvent mes attentes et une application du cours dans leurs TFE.
J'apprécie particulièrement les feedbacks des étudiant.e.s lorsqu'elles et ils expliquent venir aux cours sans être stressés et que cela constitue une pause dans leur journée.
La robustesse serait donc de pouvoir se passer de l'évaluation certificative (celle qui stresse à cause de la réussite) quand cela est possible, même si cela est assez déstabilisant pour les étudiant.e.s et que quelques un.e.s en profites.
Pour m'insérer dans la continuité des partages précédents, voici deux dispositifs évaluatifs que j'ai observés au Conservatoire de Bruxelles et qui me semblent toucher à la robustesse:
-le premier a sa place dans le cours de Didactique de la musique - interactivité: lors du premier cours, dans une discussion collective, les étudiant-es sont invités à répondre à la question suivante: "quelle note est-ce que je pense être capable d'obtenir dans le cadre de ce cours?" À la fin de la discussion, chaque étudiant-e s'attribue individuellement une note. L'enseignante fait la moyenne de ces notes et ce sera la note de l'UE en fin d'année si l'étudiant-e respecte un contrat établi au départ et précis: ponctualité, présence au cours, participation aux micro-enseignements et remise d'un travail de fin de cours. Si le contrat n'est pas respecté, l'étudiant-e reçoit une note d'échec. Il me semble que ce dispositif déplace l'évaluation du produit vers le processus. L'enseignante a également observé que les musicien-nes généralement soucieux de performance et parfois de compétition s'impliquent davantage dans les activités proposés.
-le premier a sa place dans un cours d'ear training (analyse musicale d'oreille en jazz): un collègue permet à ses étudiants de passer deux tests formatifs (un en novembre et l'autre en avril) en plus de l'évaluation certificative de fin d'année. Si le second test formatif est meilleur que le premier, il calcule l'écart entre les deux notes. Il divise cet écart par 2 et ajoute ce résultat à l'évaluation certificative. De cette manière, il tient compte de la progression des étudiant-es et soutient leur motivation dans une discipline considérée comme difficile par les étudiant-es.
Belle idée en effet que l'évaluation ipsative qui valorise la progression. Il y a très très longtemps (dans une vie antérieure !) nous avions choisi cette voie en éducation physique : évaluer nos étudiants en fin d'année sur leur progression depuis leur examen d'entrée (qui n'avait qu'une fonction informative). L'information avait bien circuler, et nous avons dû rapidement abandonner cette belle idée : les petits filous se traînaient sur la piste en septembre pour péter des flammes en juin et bénéficier d'un substantiel bonus. Comment évitez-vous cela?
@catherine-delfosse , comment éviter cela ? ... je lis ce fil de discussion et repense au célèbre article de Jean-Marie De Ketele (Ne pas se tromper d'évaluation, 2010). Comme le montre les premières contributions, l'évaluation formative, ou l'évaluation-soutien à l'apprentissage, est très bénéfique à l'engagement, à la prise de confiance, à l'image de soi, à l'envie de s'améliorer. Il nous faut en faire la promotion pour que l'école (en générale) soutienne la formation et non la sélection. Mais cela sans jeter l'évaluation certificative à la poubelle... Elle reste nécessaire, parfois, pour reconnaître socialement une compétence. Que dire d'un enseignant qui serait certifié sur la base de ses efforts et de sa progression... il s'est donné tellement de peine, a fait tellement de progrès... est-ce pour autant que nous pouvons lui attribuer le "permis d'enseigner" ? Est-ce pour autant que je mettrais mon enfant dans sa classe ? Je pense qu'une évaluation robuste est nécessaire, une évaluation formatrice, dialogique, ouverte, dont le rythme et les conditions sont adaptés à chacun. Mais cela sans perdre de vue l'exigence.
J'aime l'idée d'une évaluation formatrice (Vial, Nunziati) dont le rythme est adapté à chacun. Cela me semble une belle piste d'évaluation robuste. L'évaluation est utilisée pour s'approprier le référentiel, pour décider (ou non) de s'y conformer, pour s'auto-évaluer, pour faire de l'évaluation mutuelle... toujours dans l'idée d'atteindre le but fixé, cet attendu social ou cette exigence. Lorsque tu te sentiras prêt, tu me le diras et nous validerons des acquis, ce sera le moment de la certification. Rytme adapté à chacun, mais exigence partagée entre tous.
Nous avons fait des expérimentations de cette démarche avec des collègues. Je mets ici deux références, mais les articles seront traduits prochainement et publiés en français.
Je lirais volontiers ces articles en Français.
merci
Catherine
Il me semble que nos échanges pointent aussi du doigt de potentiels critères pour qualifier ou interroger l'éthique d'une robustesse de/dans l'évaluation (cf. Un autre canal 😉).
Et que l'ensemble met en avant un certain "contrôle du contrôle", au sens où ne pas tout contrôler semble être une volonté, voire une nécessité. Dans le dialogue, celui qui tisse ensemble les individus et leurs mots, faisant connaissances (dia-logos), nous ne pouvons voire ne devons pas savoir où nous nous rendons. Sinon, jeux de pouvoir, influence, manipulations en tout genre, ou intentions différenciées de celles de dialoguer. Dans l'expérience de Matthieu, la collègue ne pouvait prédire des usages comme des résultats ; mais croire, à tout le moins, en la pertinence du dispositif et en ses propres postures/positions. L'interrogation de la place - symbolique (au sens des valeurs historiquement et sociologiquement données) et organisationnelle (au sens d'où se situe la pratique) - de l'évaluation normative et/ou certificative (cf de Ketele 2010 ) interroge en même temps nos fonctions je dirai d'actrice et acteur de l'éducation et de la formation. Peut-être qu'une "triche" est aussi un "art de faire" (de Certeau, 1990) donc des gestes et pratiques d'une quotidienneté remplie de normes d'adultes, de règles institutionnelles, de décisions unilatérales : soit un empêchement démocratique ou participatif de la vie commune. Ce n'est peut-être pas tant notre jeu qui est remis en question, que celui de la vie ordinaire dans une société de la comparaison, du contrôle, du jugement.
Ardoino et Berger en 1986 puis en 1989 interrogeaient l'évaluation comme autre chose que le contrôle. Comme peut-être des occasions de refonder la valeur de nos activités, tant sur le plan moral que politique, social. Et si les évaluations robustes embrassaient ces enjeux, ces évitements ou triches, pratiques alternatives pour encourager, favoriser, des expressions de valeurs reconnectées à la vie ordinaire ?